La fonte de la banquise profite aux entreprises. Le trafic maritime dans le cercle arctique s’intensifie de jour en jour, à mesure que l’épaisseur de la banquise diminue. Une bonne nouvelle pour l’industrie certes, mais un trop-plein de bateaux pourrait bien causer l’une des plus graves catastrophes écologiques au monde. Les navires transportent des espèces invasives qui, plus l’océan se réchauffera, seront à même de se développer dans ces régions polaires.

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    L'Arctique est un enjeu économico-politique monumental. D'ici 2040, les brise-glaces pourraient se rendre au détroit de Béring depuis la Norvège, en passant directement par le pôle Nord. Cette voie est 20 % plus rapide que la route maritime qui emprunte le passage Nord-Est, en longeant la Russie. Si l'industrie s'en réjouit, les scientifiques tirent la sonnettesonnette d'alarme. Les bateaux sont les plus grands responsables d'introduction d'espèces invasives marines.

    Un navire qui voyage sur de longues distances peut introduire des espèces d'un port à l'autre de différentes façons. Beaucoup d'embarcations disposent de ballasts, des réservoirs d'eau qui favorisent l'équilibre du bateau. Avant de naviguer, l'équipage remplit le ballast d'eau de mer, qu'il vidangera à proximité du port de destination. Le fouling est aussi un grand vecteur d'espèces exotiquesexotiques. Il désigne la colonisation de la partie immergée du bateau par des organismes se fixant sur ce support. Jusqu'à présent, la fraîcheur de l'eau arctique a préservé l'invasion d'espèces issues des plus basses latitudes, mais à mesure que le climat se réchauffe, la menace grandit.

    Les ROV (<em>Remote Operated Vehicle</em>) permettent d'analyser sur les coques immergées des bateaux la présence de <em>fouling.</em> En complément du ballast, le développement d'espèces microbiennes sur une coque facilite l'introduction d'espèces exotiques. © Christopher Ware

    Les ROV (Remote Operated Vehicle) permettent d'analyser sur les coques immergées des bateaux la présence de fouling. En complément du ballast, le développement d'espèces microbiennes sur une coque facilite l'introduction d'espèces exotiques. © Christopher Ware

    Le cercle arctique de plus en plus exotique

    Pour quantifier le risque d'invasion dans les eaux arctiques, une équipe de recherche de l'université de Tromsø de Norvège a étudié en détail le trafic maritime du Svalbard. Situé près du cercle polaire arctique, cet archipel norvégien connaît une nette augmentation de fréquentation. De plus en plus de touristes, d'expéditions scientifiques et d'exploitants miniers s'y rendent. Ce n'est évidemment pas encore l'équivalent du port de Rotterdam, mais tout de même, d'après Christopher Ware, en charge de l'étude, 500 millions de tonnes d'eau de ballast sont déversées au Svalbard par an.

    Or, les très hautes latitudes se réchauffant plus rapidement, la différence de température avec l'archipel norvégien va se réduire. D'après l'étude, un tiers des 155 bateaux qui ont accosté en 2011 dans les ports du Svalbard provenaient de régions qui, d'ici quelques décennies, auront des conditions climatiques semblables à celles de l'Arctique. Voilà donc le principal problème auquel devront faire face les populations. Si les conditions de vie en Arctique s'approchent de celles des plus basses latitudes, alors les espèces introduitesespèces introduites pourraient bien parvenir à se développer au Svalbard. L'étude, dont les résultats font l'objet d'un article dans la revue Diversity and Distributions, indique qu'en 2011, les bateaux ont déversé 653.000 m3 d'eau issus des ballasts.

    Parmi ces bateaux, un peu plus de la moitié avait remplacé l'eau en mer, par exemple en mer du Nordmer du Nord. Les navires étaient connectés à quatre écorégions aux conditions de vie quelque peu similaires. L'équipe de Christopher Ware a ainsi identifié 16 espèces introduites par les bateaux, dont une provenait directement des eaux du Svalbard. En outre, 14 des espèces sont capables de se développer en s'accrochant aux coques immergées des bateaux. Donc pour limiter l'introduction d'espèces invasivesespèces invasives en Arctique, le contrôle du ballast ne suffira pas.

    Une invasion imminente en Arctique ?

    On s'attend à ce qu'en 2050, les conditions climatiques au Svalbard soient identiques à celles des régions plus au sud d'où proviennent généralement les bateaux qui accostent. En 2011, ce constat concernait un tiers des bateaux qui se sont rendus au Svalbard, mais qu'en sera-t-il demain ? À mesure que la banquise arctique s'amincit, les bateaux choisissent de plus en plus cette route maritime. L'océan arctique se réchauffe, et devient de plus en plus une terreterre d'accueil pour bon nombre d'espèces invasives.

    L'histoire nous a déjà montré comment l'introduction d'espèces maritimes dans un autre milieu pouvait être ravageuse. La vidange de ballast en mer Noire a provoqué le développement de cténophorescténophores dans cette mer. Les conséquences ont été absolument désastreuses pour la pêchepêche. Il est aussi tout à fait probable que la rascasse volante venimeusevenimeuse ait été introduite par les bateaux en Atlantique. Aujourd'hui on s'arrache les cheveux pour trouver une solution pour réguler son essor. En Arctique, les espèces les plus menaçantes à ce jour sont les crabes verts (Carcinus maenas), les crevettes fantômes japonaises (Caprella mutica) et l'ascidie plissée (Styela clava). Compte tenu de la rapiditérapidité de réchauffement dans le cercle arctique, il va falloir agir rapidement.