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    En dématérialisant les décors, les personnages ainsi que la caméra, les images de synthèse 3D ont bouleversé le cinéma d'animation. Elles dominent actuellement le monde du cinéma avec des films comme Moi, moche et méchant (2010), Zootopie (2016), etc.

    Pas de secret, que ce soit pour les dessins animés sur cellulo ou de nos jours pour les films en images de synthèse, tout commence avec un scénario. « [Celui-ci] définit tout ce qu'il se passe dans le film : les actions, les dialogues, etc. », souligne Julien Duval, directeur de la photographiephotographie et enseignant à l'Esma. On réalise ensuite le storyboard, qui permet de « traduire le script avec des dessins fixes en décrivant les actions essentielles à la compréhension de l'histoire ».

    Là où l’animation en volume utilise des marionnettes ou de la pâte à modeler, l’animation par ordinateur 3D (images de synthèse) consiste à fabriquer tout un monde virtuel, objets, personnages et environnement compris. © gyathanarts, Pixabay
    Là où l’animation en volume utilise des marionnettes ou de la pâte à modeler, l’animation par ordinateur 3D (images de synthèse) consiste à fabriquer tout un monde virtuel, objets, personnages et environnement compris. © gyathanarts, Pixabay

    « On prépare ce qu'on va mettre dans les plans. On définit les personnages, les vêtements, les matières que l'on va utiliser », poursuit Julien Duval. C'est une étape très importante appelée « le design ». Il faut également déterminer les outils à utiliser pour concevoir les personnages et les décors. Pour créer un personnage en 3D, on peut avoir besoin de réaliser au préalable une maquette puis de la scanner. Il est aussi possible de le dessiner à la main (en 2D), sous tous les angles, pour pouvoir ensuite le modéliser en 3D. Sinon, on peut le construire entièrement par ordinateurordinateur.

    Logiciels et grandes étapes de la création graphique 3D

    La création graphique 3D peut être découpée en trois grandes étapes. La préproduction rassemble tous les éléments cités précédemment. La production consiste à « produire les images », telles que décrites dans le storyboard, sur ordinateur, pour reprendre les mots de Thierry Brionnet, directeur pédagogique Cinéma 3D-FX et Music & Sound Design Isart Digital. Enfin, vient la postproduction, qui consiste à « récupérer ces images » et à les traiter avec des logicielslogiciels de compositing 2D. « On fait la colorimétrie et on peut faire des effets spéciaux en 2D sur ces images », rapporte Thierry Brionnet. En effet, les images de synthèse sont créées en 3D, mais on obtient bien à la fin des images, c'est-à-dire de la 2D.

    Créer des paysages enchanteurs est un aspect de la modélisation 3D qui fait rêver. © Esma, <em>Sweet Cocoon</em> (2014)
    Créer des paysages enchanteurs est un aspect de la modélisation 3D qui fait rêver. © Esma, Sweet Cocoon (2014)

    Pour fabriquer la scène en 3D, on commence par construire les personnages et les décors virtuels. Ce travail repose sur des outils géométriques, à savoir des polygones qui vont servir à construire des maillages, puis des volumes. « Si on continue à bouger les points, on va avoir des visages », explique Julien Duval. On peut assembler et façonner les différents volumes à son gré grâce à des outils de sculpture virtuelle.

    Les différentes étapes de la modélisation 3D peuvent se découper comme suit :

    • Le modelling : la sculpture des personnages. Ceux-ci ont la particularité d'être construits autour d'un squelette virtuel, un peu comme en stop-motion où les marionnettes et la pâte à modeler possèdent un squelette métallique. Le squelette permet de bien définir comment le personnage va s'articuler.
    • Le set up : la description des articulationsarticulations et des actions des personnages. Il est très important d'indiquer très tôt quels seront les mouvements permis et interdits, selon le personnage que l'on modélise. « Par exemple, le cou d'un humain ne peut pas tourner à 360° », souligne Gilles Penso, réalisateur et journaliste pour L'Écran fantastique.
    • Le layout : l'organisation du plateau virtuel. On place les personnages et les éléments du décor dans le cadre.
    • L'animation, bien entendu, pour faire bouger les personnages et autres objets qui doivent se déplacer.
    Animation d'une souris sur un logiciel de modélisation pour le film intitulé <em>Made in France</em> (2017), réalisé par l'École supérieure des métiers artistiques (Esma). © Esma, <em>Made in France</em> (2017)
    Animation d'une souris sur un logiciel de modélisation pour le film intitulé Made in France (2017), réalisé par l'École supérieure des métiers artistiques (Esma). © Esma, Made in France (2017)
    • Le texturing : le réglage des texturestextures, c'est-à-dire « la manière dont la matière répondrait à une illumination », indique Julien Duval. Cela concerne les personnages comme les objets. Les textures incluent en effet des surfaces aussi diverses que le boisbois, les vêtements ou la peau. « Des outils permettent de les positionner sur les objets et des paramètres permettent de dire si la texture est translucidetranslucide ou opaque, ou si elle a un glow [éclat autour d'elle] », explique Thierry Brionnet. Ce travail prend du temps. Pour la petite anecdote, « il a fallu six mois pour donner sa texture réaliste à Bob Parr [personnage dans Les Indestructibles 1 & 2 (2004, 2018)] », nous révèle Gilles Penso.
    • Le lighting : le réglage des lumières. On place des sources de lumière, une principale et d'autres secondaires, pour éclairer la scène (le layout)).
    • Le rendering ou rendu. Une fois que tout est mis en place, l'ordinateur calcule tout : les textures, la lumière, l'animation... Calculer le rendu signifie que l'ordinateur transforme les données numériquesnumériques en pixelspixels, constitutifs d'une image. Il génère ainsi une succession d'images en 2D à partir du travail des animateurs. Après le rendu, intervient tout le travail de postproduction.
    Aperçu avant et après rendu d'une scène tirée du film d'animation <em>Ice Pepper</em> (2017)<em>, </em>réalisé par l'Esma. © Esma, <em>Ice Pepper</em> (2017)
    Aperçu avant et après rendu d'une scène tirée du film d'animation Ice Pepper (2017), réalisé par l'Esma. © Esma, Ice Pepper (2017)

    La quête du rendu photoréaliste

    Pour illuminer la scène, il existe plusieurs méthodes, que l'on choisit selon le rendu plus ou moins réaliste que l'on veut obtenir. L'ordinateur peut notamment simuler la trajectoire des rayons lumineux depuis leur source d'émission. C'est ce qu'on appelle le ray tracing ou lancer de rayons, une méthode plutôt ancienne (1987) et assez courante. Il permet d'obtenir un rendu photoréaliste, c'est-à-dire que la scène virtuelle semble avoir été photographiée ou filmée.

    Le photoréalisme est depuis longtemps un enjeu important de l'animation par ordinateur, car il tend à se rapprocher du cinéma en prises de vues réelles. C'est crucial quand on veut intégrer les images de synthèse à un film, comme dans les Star Wars ou les Marvel. Le photoréalisme s'appuie sur l'optique et sur la science des matériaux. En effet, les algorithmes de ray tracingray tracing suivent chaque rayon de lumière jusqu'à ce qu'il rencontre et soit réfléchi par une surface, à savoir les personnages et les éléments du décor. Ces outils ont ensuite été améliorés avec des algorithmes de photonphoton mapping, développés dès 1994.

    Le photoréalisme est un peu le graal

    Au lieu de prendre un rayon lumineux dans son ensemble, le photon mapping s'intéresse, comme son nom l'indique, aux photons virtuels qui le constituent. Quand ils interagissent avec une surface, les photons peuvent être absorbés ou réfléchis. Les algorithmes relèvent alors leur position dans l'espace. Ils peuvent aussi prendre en compte l'effet des matériaux translucides, telles la peau ou la cire, sur la réflexion de la lumière.

    Les progrès les plus récents dans le domaine du photoréalisme concernent les algorithmes d'illumination globale. Pour preuve, ceux-ci ont été utilisés pour la première fois dans le long-métrage d'animation Les Nouveaux Héros (2015). Ils sont non seulement capables de calculer la lumière directe, mais aussi la diffusiondiffusion dans le milieu de la lumière réfléchielumière réfléchie par une surface. Les algorithmes d'illumination globale, auparavant très coûteux et très gourmands en temps de calcul, sont maintenant utilisés « de manière très classique », précise Thierry Brionnet.

    Sur cette image tirée du film <em>Made in France</em> (2017), on peut noter le photoréalisme de la surface en marbre et de la fourrure de la souris. La modélisation 3D de cette dernière, avant le rendu, est visible plus haut sur cette page. © Esma, <em>Made in France</em> (2017)
    Sur cette image tirée du film Made in France (2017), on peut noter le photoréalisme de la surface en marbre et de la fourrure de la souris. La modélisation 3D de cette dernière, avant le rendu, est visible plus haut sur cette page. © Esma, Made in France (2017)

    Cependant, le rendu photoréaliste n'est pas forcément la panacée pour le cinéma d'animation, car le réalismeréalisme ne correspond souvent pas à l'esthétique recherchée. « Des films comme ceux qui se passent dans l'eau ont souvent un environnement hyperréaliste, mais le but n'est pas d'imiter la réalité, sinon cela ressemblerait à un documentaire, indique Gilles Penso. On cherche le sentiment de réalité pour certains objets, comme le verre, mais pas pour les personnages et le décor. Les personnages doivent rester stylisés ». Un film comme Les Indestructibles 2 est « très stylisé au niveau du design et des couleurscouleurs, mais la lumière est très photoréaliste », nous signale Julien Duval.

    En outre, certains films recherchent plutôt l'authenticité du dessin animé ou du cartoon classique. Ainsi, il existe dans les logiciels un mode d'éclairage non photoréaliste appelé cel-shading, qui imite le dessin sur cellulo du siècle dernier.

    Un modèle en 3D de la combinaison spatiale de Tintin vue dans la bande dessinée <em>On a marché sur la Lun</em>e (1954), avec à gauche un éclairage classique effet plastique et à droite un ombrage celluloïd, ou <em>cel-shading</em>, effet cartoon. © en:User:T-tus, <em>Wikimedia Commons</em>, CC by 2.0
    Un modèle en 3D de la combinaison spatiale de Tintin vue dans la bande dessinée On a marché sur la Lune (1954), avec à gauche un éclairage classique effet plastique et à droite un ombrage celluloïd, ou cel-shading, effet cartoon. © en:User:T-tus, Wikimedia Commons, CC by 2.0

    Quand les images de synthèse s'inspirent des sciences et de la nature

    L'animation s'inspire volontiers des phénomènes physiquesphysiques, comme on l'a vu pour la lumière, mais ce n'est pas systématique. « Dès qu'on tend vers du réalisme, on tient compte des paramètres des matériaux et de la lumière », déclare Thierry Brionnet. Le photoréalisme signifie que « la lumière fonctionne comme dans la nature », rappelle Julien Duval, qui est aussi spécialiste des interactions entre lumière et matière. « Si on comprend la physique -- la dualité onde-particule, pourquoi la lumière rebondit sur les surfaces, etc. -- on comprend comment simuler les matières. C'est aussi important de comprendre ce qu'on fait. Par exemple, [dans les logiciels], si on augmente le paramètre d'intensité, on a l'impression que la lumière est plus forte. Sur le plan physique, ce n'est pas l'intensité mais le nombre de photons que l'on augmente. »

    Lorsqu'il s'agit de produire une animation réaliste, « la physique se met en place pour les textures et la lumière, mais aussi pour l'animation », indique Thierry Brionnet. Ainsi, les montagnes doivent correspondre à ce que dit la géologiegéologie, la trajectoire des rivières doit dépendre de la topographie du terrain et s'écouler du haut vers le bas, les collisions entre les objets doivent respecter le principe d'action-réaction, etc. « Pour l'eau, la fumée, le ventvent et la neige, si on veut un rendu réaliste, on se base sur la physique. Dans un dessin animé plus classique, la neige ne tombera pas forcément de façon réaliste », poursuit Thierry Brionnet.


    Des mathématiciens à l'université de Californie à Los Angeles ont développé un algorithme pour simuler la neige dans La Reine des neiges (2013) à partir d’une technique numérique utilisée pour simuler le comportement des différents états de la matière (solide, liquide, gaz). © Walt Disney Animation Studios, YouTube

    Par exemple, pour Wall-E (2008), les animateurs ont développé un système inspiré de la physique des ressorts pour mieux simuler les réactions des personnages, comme l'explique dans un article Paul Kanyuk, directeur technique à Pixar Animation Studios. C'est pourquoi, tout comme le passager d'une voiturevoiture est entraîné vers l'avant lorsque celle-ci freine trop vite, un robotrobot en mouvement qui s'arrête brutalement va se pencher en avant, avant de retrouver une position normale. Dans une scène de Wall-E, le vaisseau penche d'un côté et fait tomber tous les passagers de leurs fauteuils, les envoyant rouler sur le sol ; les personnages qui se cognent dans un objet durant leur chute sont alors repoussés vers l'arrière, avant de recommencer à rouler.

    Pour les vêtements, les animateurs peuvent tenir compte de l'élasticitéélasticité, du frottement, de l'action de la gravitégravité et de la finesse du maillage, ce qui permet de faire bouger les habits en même temps que le personnage, de les faire tomber correctement sur le corps, ou encore d'imiter différentes matières : jean, cuir, soie, etc.

    Cependant, appliquer des principes issus de la physique n'est pas toujours évident. « Il y a des choses trop complexes ou qui prennent trop de temps », confie Thierry Brionnet. Par exemple, la mécanique des fluides n'est pas adaptée lorsque l'on veut simuler des nuagesnuages dans le ciel ou des vaguesvagues s'écrasant sur une plage. À défaut, les algorithmes peuvent tricher pour produire les effets des phénomènes physiques que l'on souhaite obtenir, au lieu de simuler les phénomènes en eux-mêmes.

    En outre, rappelons encore que les films d'animation ont avant tout pour finalité de « raconter une histoire. Ce n'est pas la peine de tendre vers un réalisme physique total alors qu'on peut donner la même impression avec des choses plus simples », maintient Thierry Brionnet.